24/07/2025

Château-Larcher à l’épreuve de la Révolution française : bouleversements et héritages inattendus

Avant la Révolution : Château-Larcher dans l’Ancien Régime

Au XVIII siècle, Château-Larcher était un bourg rural typique du Poitou, dominé par la silhouette de son château médiéval et rythmé par la vie agricole. La société y était structurée autour de trois ordres :

  • Le seigneur local, issu de la noblesse, demeurait dans le château dominant le village. Il percevait les droits seigneuriaux sur les terres environnantes.
  • Le clergé (notamment le curé de la paroisse, parfois originaire d’une famille du cru), jouait un rôle de relais auprès des habitants, prenant en charge l’enseignement religieux et la gestion des œuvres sociales.
  • Le tiers état constituait la vaste majorité : agriculteurs, vignerons, artisans et journaliers.

À la veille de la Révolution, Château-Larcher comptait probablement entre 600 et 800 habitants (archives départementales Vienne, recenserment 1793 : 754 habitants). Les paysans y étaient nombreux, subissant impôts royaux, dîmes ecclésiastiques et redevances seigneuriales, tandis que le château, bien que moins puissant qu’au Moyen-Âge, restait central pour la vie politique locale.

Les premières secousses révolutionnaires à Château-Larcher (1789–1792)

L’éveil politique : cahiers de doléances et Assemblée des paroissiens

Comme partout en France, la convocation des États Généraux, puis la rédaction des cahiers de doléances au printemps 1789 cristallisent les frustrations. D’après les archives départementales, le cahier de doléances de Château-Larcher met l'accent sur l'allègement des impôts, l’équité devant la loi, la réforme des corvées seigneuriales et la libre utilisation des communaux (Source : Archives départementales de la Vienne, série B).

L’effervescence gagne le village : pour la première fois, paysans, artisans, hommes et parfois même femmes (indirectement, via le conseil familial), discutent, délibèrent et rédigent les plaintes destinées au Roi. Une salle communale, improvisée, devient lieu de débat. Plusieurs témoins rapporteront que ces discussions vont bouleverser les rapports entre certaines familles du village, longtemps figées dans la hiérarchie sociale.

Le choc des réformes : la fin des privilèges locaux

Dès août 1789, l’abolition des privilèges bouleverse la vie quotidienne. À Château-Larcher :

  • Les droits de chasse et de pêche que le seigneur revendiquait sur les rivières et forêts locales disparaissent, ouvrant une nouvelle liberté pour les familles.
  • Les corvées (jours de travail obligatoires sur les terres du château) sont supprimées, provoquant soulagement mais aussi tensions lorsque le seigneur tente, dans certains cas, de maintenir l’ordre ancien.
  • Le domaine seigneurial, fragilisé économiquement, amorce son morcellement.

La paroisse perd une part de ses revenus : la dîme, cette taxe prélevée au profit du curé et du chapitre de Saint-Pierre, est supprimée. Cela bouleverse l’équilibre ancien : certains prêtres locaux, réticents, quittent leur fonction, tandis qu’un vent de laïcisation gagne le village.

Château-Larcher dans la tourmente révolutionnaire : épisodes marquants (1792–1795)

La vente des biens nationaux : un bouleversement pour le patrimoine local

L’application du décret sur la nationalisation des biens de l’Église et de la noblesse entraîne la vente aux enchères de plusieurs propriétés à Château-Larcher. Sont ainsi mis en vente :

  • Des terres appartenant jusque-là au chapitre de Saint-Pierre de Poitiers.
  • Des petits domaines agricoles de la famille seigneuriale.
  • Une partie des communaux villageois.

Certains agriculteurs du village, souvent ceux disposant déjà de petites économies, ont l’opportunité d’acquérir des lopins de terre jusque-là inaccessibles. C’est l’avènement d’une paysannerie un peu plus indépendante, même si beaucoup restent de simples locataires : environ 40 % des terres changent de main dans la décennie (Source : "La Révolution en Poitou", Jean-Pierre Bardet, CNRS éditions, 1988).

Le clergé réfractaire et la vie religieuse bousculée

La Révolution impose aux prêtres de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Or, à Château-Larcher, le curé de l’époque, l’abbé Jean-Baptiste Rousseau, refuse de signer. Selon la tradition orale et les registres paroissiaux, il est forcé de quitter la cure dès 1792. Un « prêtre assermenté » est alors nommé, suscitant défiance et divisions dans la communauté. Plusieurs familles continuent à fréquenter des messes clandestines, notamment dans la grange d’une métairie à l’écart du bourg (témoignages recueillis par le Cercle généalogique de la Vienne, 1999).

Des processions sont interdites, la cloche de l’église Saint-Jean-Baptiste doit être réquisitionnée par le district pour être fondue en monnaie, mais la population s’arrange pour la soustraire discrètement à la collecte (Source : Archives municipales, rapport du district de Vivonne, 1793).

La Terreur, la levée des volontaires et les résistances

De 1793 à 1794, la Terreur bat son plein jusque dans le Poitou. Les commissaires républicains exigent la « levée en masse » de jeunes habitants pour servir dans l’armée. Plusieurs jeunes Larchérois disparaissent vers la guerre de Vendée ou vers les frontières de la République. Au moins quatre noms figurent dans les registres – certains ne reviendront pas (Source : Monument aux morts, archives communales).

Divers incidents sont signalés : sabotages de récoltes par des opposants royalistes, arrestations de familles suspectées d’activité contre-révolutionnaire. Mention rare : un poêle à bois aurait été saisi chez une veuve soupçonnée de loger un « prêtre réfractaire », anecdote retranscrite dans le journal du district de Lusignan de mai 1794.

Reflets de la Révolution dans la vie quotidienne : impacts concrets et transformations sociales

Changements dans les pratiques agricoles, fêtes et traditions

  • Fin de certaines fêtes religieuses et mise en place du calendrier républicain : la Saint-Jean et la Saint-Martin sont supprimées quelques années, remplacées par de nouveaux « jours fériés » aux noms fleuris
  • L’organisation des foires locales bascule à l’automne pour s’aligner sur les nouvelles semaines de dix jours (« décades »), perturbant les échanges agricoles et la vie collective.
  • La transformation de certaines métairies : rachat des fermes, modification des structures de propriété, apparition de nouveaux propriétaires issus du village-même.

Portraits croisés : destins de Larchérois durant la Révolution

- Pierre Maillochon, tailleur de pierre, achète deux parcelles de vigne lors d’une vente nationale, se forge un petit patrimoine ; sa famille, autrefois modeste, en bénéficiera jusqu’au XX siècle. - Marie-Louise Faure, veuve d’un métayer, fait partie des premières femmes à signer une déclaration de soutien à la République, au grand étonnement de ses voisins. - Joseph Renaud, ancien régisseur du château, entre dans la première « municipalité » élue du village, chargée d’appliquer les consignes du district révolutionnaire.

Château-Larcher, de la Révolution au XIX siècle : héritages et mémoires

La période révolutionnaire imprime une marque durable à Château-Larcher :

  • La disparition progressive des grands domaines et l’émergence d’une mosaïque de petits propriétaires ruraux.
  • Le château médiéval, autrefois résidence seigneuriale, décline : vendu à un notaire du village, il est converti en fermes, puis partiellement ruiné par la suite (Source : Inventaire général du patrimoine, région Nouvelle-Aquitaine).
  • L’école républicaine remplace, peu à peu, l’enseignement paroissial : les premiers instituteurs « laïques » recrutés à Château-Larcher datent de 1796.
  • Le souvenir de la « cloche cachée », qui aurait été retrouvée au XIX siècle, est toujours raconté lors des journées du patrimoine ou des fêtes de la Saint-Jean.

Certains prénoms et patronymes, portés par des familles « de la Révolution », témoignent d’une mémoire transmise oralement. Les métairies acquises à cette époque figurent encore dans certains actes de vente immobilière du XXI siècle.

Retrouver les traces de la Révolution aujourd’hui à Château-Larcher

Pour les curieux, il reste des balises, discrètes mais éloquentes :

  • Le monument commémoratif du bicentenaire (1989) sur la place du village.
  • Quelques actes gravés « an II de la République » visibles aux Archives départementales à Poitiers, proposés parfois lors d’expositions locales.
  • La salle du conseil – aménagée dans une ancienne salle du château – conserve des panneaux retraçant l’histoire de la « première municipalité du peuple ».
  • Des descendants de « paysans acquéreurs », dont le récit se partage encore lors des rencontres du club mémoire locale.

Chaque ruelle, chaque pierre du village a traversé la Révolution : elle n’est ni un mythe lointain, ni une simple page des manuels, mais un héritage vivant qu’on ressent au quotidien, dans le dialogue entre patrimoine et visages du présent. Pour prolonger l’expérience, les archives de la Vienne (archives.departement86.fr) offrent de multiples pistes pour qui veut creuser l’histoire, et des balades commentées permettent de (re)découvrir le village à l’aune de ces bouleversements fascinants.

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