28/07/2025

Château-Larcher au XXe siècle : entre mémoires, mutations et renouveau

Le fracas des guerres mondiales et leurs échos dans le village

Difficile d’imaginer aujourd’hui, dans la quiétude de nos sentiers, la tension de la Grande Guerre ou de l’Occupation. Néanmoins, les deux guerres mondiales ont laissé des traces concrètes et sensibles à Château-Larcher, comme partout ailleurs en France.

  • Première Guerre mondiale : Sur la façade de l’église, le monument aux morts égrène, année après année, les noms de 44 jeunes hommes* du village disparus dans les tranchées du Nord ou sur d’autres fronts entre 1914 et 1918. Ce chiffre, pour une commune de moins de 600 habitants à l’époque (Recensement 1911), mesure l’ampleur de l’hémorragie humaine et sociale.
  • Second conflit mondial : La Seconde Guerre mondiale voit le passage de troupes et la réquisition d’habitants, tant pour le travail en Allemagne que pour des actions de résistance ou des réquisitions alimentaires. Plusieurs familles rappellent encore des anecdotes sur la clandestinité, les messages codés qui circulaient dans les faubourgs, ou la discrétion des FFI venus se cacher dans les bois des alentours (témoignages recueillis lors des commémorations et archives locales).

Outre le deuil, les conflits ont profondément modifié le tissu social : nombreuses furent les femmes restées seules, les familles amputées de leur force de travail, impulsant des changements dans l’organisation de la vie et des fermes.

Modernisation et arrivée de la “vie moderne”

Le XXe siècle, c’est aussi l’arrivée progressive du confort contemporain. Rien de fulgurant, mais une mutation discrète, palpable encore dans les souvenirs transmis de génération en génération.

  • L’eau courante et l’électricité : Longtemps, les fontaines et les puits ont rythmé la vie quotidienne. C’est dans les années 1950 qu’apparaissent l’eau courante et l’électricité dans chaque foyer (Archives départementales de la Vienne). Cela change radicalement la façon de vivre, d’élever les enfants, ou même d’organiser le travail dans les fermes et les ateliers.
  • Les routes et les transports : L’ouverture (et l’amélioration) de la D84 puis de la route de Vivonne, le développement des transports collectifs après la guerre, bouleversent le rapport au territoire. On commence à travailler à l’usine à Poitiers ou à Vivonne, tout en vivant à Château-Larcher.
  • École et culture : La petite école communale suit l’évolution nationale : mixité, changement des programmes, grandes lois sur la laïcité et l’instruction obligatoire jusque 16 ans (loi Berthoin, 1959). Les colonies de vacances, les fêtes scolaires et patronales rythment une vie qui s’ouvre plus largement au département.

Ce que Château-Larcher gagne alors en confort matériel, il commence aussi à le perdre en intimité villageoise – les cercles ne se réduisent plus au lavoir ou au four à pain, les familles s’éparpillent, les liens à la terre s’assouplissent.

Métamorphose du monde paysan et exode rural

Impossible de parler du XXe siècle sans évoquer la transformation radicale de l’agriculture locale. Ici, jusque dans les années 1950-1960, la majorité des familles vit directement de la terre, sous la forme de polyculture-élevage.

  • Mécanisation : L’arrivée progressive du tracteur remplace les chevaux de trait. Vers 1965, ils seront moins de cinq familles à labourer encore à l’ancienne (source : témoignages villageois et INSEE).
  • Réduction du nombre d’exploitations agricoles :
    • 1929 : près de 80 exploitations agricoles à Château-Larcher
    • 1970 : moins de 20 fermes encore en activité (chiffres INSEE)
  • Spécialisation et agrandissement : Diminution des exploitations familiales très variées, développement de l’élevage laitier, puis de la céréaliculture, avec des surfaces en constante augmentation par regroupements successifs.
  • Départ des jeunes : Dès les années 1950, l’exode rural s’accélère. Les enfants partent travailler en ville, l’école perd ses effectifs (deux classes ouvertes en 1930… à une menace de fermeture en 1980), les maisons ferment leurs volets une partie de l’année.

En à peine un demi-siècle, Château-Larcher passe d’un monde “paysan” où tout se partage à l’année, à un village plus éclaté, marqué par la saisonnalité, et la venue progressive de nouveaux habitants venus “de la ville”.

Santé, solidarités et nouveaux usages

La médecine, autrefois affaire de rebouteux ou de la sage-femme du coin, se professionnalise aussi après la guerre. Dès les années 1950, une tournée de médecin dessert le village chaque semaine, et une pharmacie s’installe à Vivonne.

  • Les épidémies de grippe espagnole en 1918-1919 – qui firent plusieurs dizaines de morts à Château-Larcher et dans les communes voisines (source : Archives départementales) – restent une mémoire vive dans les familles.
  • Le regroupement des associations caritatives (Secours Catholique, œuvres paroissiales) vers des actions intercommunales marque le début de la solidarité organisée – c’est l’ère des “comités des fêtes” et des bals populaires, où l’entraide prend d’autres formes que les corvées des champs.

Patrimoine et protection du village : une nouvelle sensibilité

Il faut attendre les années 1970-1980 pour que les habitants (et les institutions) prennent conscience de la richesse patrimoniale de Château-Larcher. À force de voir partir les jeunes et tomber les vieilles maisons, une forme d’urgence mobilise la commune.

  • Création de l’Association des Amis de Château-Larcher (1972) : Objectif : sauvegarder le château, en péril depuis des générations. Grâce à elle, plusieurs tranches de travaux de consolidation sont menées et le site obtient l’inscription à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en 1974 (source : Ministère de la Culture).
  • Ouverture aux premiers chantiers “jeunes” : Pendant plus de dix ans, la commune accueille des étudiants en histoire de l’art ou en architecture, des bénévoles étrangers et locaux, pour restaurer le bâti, ce qui développe une culture d’accueil et de transmission.
  • Premières réflexions sur le tourisme : Mise en place des panneaux informatifs, ouverture de la visite du château lors des Journées du Patrimoine (créées en 1984 à l’échelle nationale), organisation de fêtes médiévales annuelles qui, dès les années 1990, réunissent 3000 participants le temps d’un week-end (source : archives municipales).

L’idée que Château-Larcher peut séduire des visiteurs, être un lieu de mémoire vivante et susciter des initiatives nouvelles commence à faire son chemin.

D’une commune rurale isolée à un village en renaissance

Depuis la fin du XXe siècle, le scénario traditionnel du “village qui se meurt” s’effrite peu à peu. Château-Larcher attire de nouveaux habitants, souvent venus chercher calme et qualité de vie, à une quinzaine de minutes de Poitiers.

  • Le recensement de 1962 affiche encore une perte sévère d’habitants : 410 habitants, contre près de 800 un siècle plus tôt. Mais la tendance s’inverse dès les années 1990 – 621 habitants en 2021 (source INSEE).
  • Le développement de l’associatif, de la bibliothèque à la fanfare, ravive un esprit de village. Le tissu associatif, moribond dans les années 1970, connaît un vrai renouveau avec plusieurs dizaines d’adhérents dans les années 2000.
  • L’ouverture de la cantine scolaire, du foyer rural, l’essor du télétravail et l’arrivée de familles “néo-rurales” modifient le visage du village : plus intergénérationnel, ouvert à des initiatives éco-responsables et des projets participatifs.
  • Le patrimoine devient source de fierté et d’attractivité, symbole de la possibilité d’un avenir renouvelé autour d’un cadre de vie préservé.

Regards sur un siècle de transformations

À marcher dans les ruelles ou à travers les sentiers du plateau calcaire, il subsiste un parfum du passé rural et artisanal, mais aussi mille petites marques de la modernité, de la résilience d’un village qui a su traverser crises et mutations. Qu’il s’agisse de la mémoire encore vive des guerres, du souvenir du sabotier ou du potier, du crépitement de la modernisation, ou des visages nouveaux qui viennent aujourd’hui “vivre et découvrir” Château-Larcher, c’est un tissu patiemment retissé qui se remarque.

Si le XXe siècle fut une époque de ruptures, il a surtout été celui d’une lente adaptation : une force tranquille, discrète, et pourtant merveilleusement palpable. Château-Larcher incarne, à sa façon, la capacité d’un village à inventer une suite à son histoire, sans renier ses racines.

Sources : Archives départementales de la Vienne, INSEE, Ministère de la Culture, Archives municipales de Château-Larcher, témoignages locaux.

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