09/08/2025

Vivre à Château-Larcher autrefois : la vie quotidienne dévoilée par les archives

Les métiers : entre champs, fours et ateliers

Jusqu’au XIXe siècle, Château-Larcher était avant tout un village de laboureurs et d’artisans. Les rôles d’imposition conservés aux Archives départementales de la Vienne détaillent méticuleusement la composition sociale. Vers 1789, sur une centaine de foyers, près de 60% vivaient du travail de la terre. Les noms les plus fréquemment relevés dans les registres paroissiaux ou les inventaires après décès :

  • Laboureurs et journaliers – les premiers possédaient un lopin, les seconds vendaient leurs bras.
  • Charrons, forgerons et charpentiers : indispensables à la vie rurale, ils réparaient les outils agricoles, montaient les charrettes, renforçaient les toitures.
  • Tisserands et cordonniers : au XIXe siècle, on compte jusqu’à trois tisserands dans le bourg selon le recensement de 1841.
  • Boulangers : la gestion du four à pain communal, mentionnée dans des délibérations de 1610, rythmait la semaine du village.

À l’inverse des idées reçues, très peu d’archives évoquent des “seigneurs locaux” menant grand train ; la seigneurie de Château-Larcher appartenait à de puissantes familles, mais la vie quotidienne était surtout façonnée par la communauté rurale.

Le village à l’heure du clocher : temps, fête, et croyances

Les registres paroissiaux et les comptes du conseil de fabrique permettent de reconstituer l’agenda social et religieux du village :

  • La messe dominicale était le repère inamovible de la semaine. Selon les notes de l’abbé Texier (1842, AD86), c’est là que s’annonçaient naissances, décès, bans de mariage et décisions communales.
  • Les grandes fêtes rythmaient l’année : Saint-Laurent (le patron), la fête-Dieu, le Mardi Gras (souvent accompagné d’une déposition comique des villageois devant le “tribunal du carnaval”).
  • Le calendrier agricole (semis en mars, moissons en juillet-août, vendanges parfois dès mi-septembre) est tracé à travers des obligations de corvées ou de paiement en nature (poules, froment) retrouvées dans les terriers seigneuriaux des XVIe-XVIIIe siècles.

Une anecdote citée dans les rapports de police de la fin du XVIIIe siècle (AD86, série B) donne la mesure de l’ancrage spirituel : lorsqu’un violent orage menaçait en 1783, c’est le curé qui menait spontanément “tous les enfants du bourg en procession jusqu’aux vignes, pour demander la protection contre la grêle”.

La famille : entre solidarité et transmission

Les archives notariales, véritables trésors d’informations, dévoilent la structure des familles de Château-Larcher au fil des siècles :

  • Le mariage : jusqu’à la Révolution, le mariage était avant tout une affaire familiale et sociale, négocié entre familles voisines. Les contrats de mariage du XVIIIe siècle conservés (AD86, 3 E 26) montrent que la dot variait souvent de 100 à 400 livres pour une fille de laboureur.
  • L’héritage : les biens agricoles, une poignée de terres ou une vache, se partageaient rarement à égalité. Les aînés héritaient le plus, tandis que les cadets “allaient voir ailleurs” ou restaient domestiques dans la maison familiale.
  • La solidarité : une ordonnance du conseil paroissial de 1775 mentionne l’allocation d’un “quartier de bois” chaque hiver aux anciens ne pouvant “subvenir à leur chauffage” – témoignage d’un début de solidarité communautaire.

La mortalité infantile, omniprésente, apparaît dans les registres : entre 1720 et 1750, un cinquième des enfants mouraient avant deux ans, notamment lors des fortes flambées de variole (cf. registre paroissial de Château-Larcher, Archives en ligne AD86).

Petites histoires de maisons et du bourg

Le cadastre napoléonien de 1827 et les inventaires dressés à l’occasion de successions ouvrent une fenêtre sur le “matériel du quotidien”. Quelques curiosités se dégagent :

  • La plupart des maisons du cœur de village étaient bâties en moellon local, chaulées et couvertes de tuiles plates.
  • L’intérieur, modeste, s’organisait autour d’une grande cheminée, d’un escabeau, de coffres, de deux lits souvent pour toute la famille, et parfois d’une armoire à vaisselle (“buffet de bois de châtaignier”).
  • Un acte de 1836 détaille, chez un tailleur : “un métier à coudre, deux paires de ciseaux, trois gilets, une pendule sans balancier”. Les objets du temps avaient autant de valeur sentimentale qu’économique.
Bien Nombre Date Source
Maisons en pierre 63 % 1827 Cadastre Napoléonien (AD86)
Habitants possédant une horloge Moins de 10 % 1815 Inventaires après décès
Cheminées monumentales Près de chaque foyer Début XIXe Inventaires après décès

Un détail qui amuse : plusieurs inventaires de biens confisqués à “Louis Simonneau, vannier” (1806) listent… une dizaine de paniers, mais aussi un violon, preuve que la musique avait sa place, même dans les familles modestes !

Paysages et ressources : la nature à portée de main

Les archives révèlent une exploitation fine et parfois collective de l’environnement, avec une attention permanente à la gestion des ressources :

  • L’eau : la rivière Clouère et les nombreux petits ruisseaux fournissaient eau potable (en 1831, deux fontaines publiques recensées), énergie pour deux petits moulins, et poissons, souvent pêchés dans le “pré du moulin”.
  • Les communaux : au XVIIIe siècle, le partage des “terres de bruyère et pré-bois communaux” était source fréquente de disputes, comme en témoignent les procès nourris retranscrits dans les minutes du bailli (AD86, B431).
  • La forêt : on y ramassait du bois de chauffage, des champignons, du petit gibier. Un règlement municipal de 1817 limitait la coupe “à deux fagots par foyer et par semaine” pour préserver la ressource.

La biodiversité n’était pas qu’un mot, mais une question de survie et d’équilibre. Les anciens recensements de la faune locale (notes du curé Thomas, 1860-1873) mentionnent renards, genettes, et même des populations puis déclinantes de loutres dans la Clouère.

Droits, devoirs et petites révoltes paysannes

La vie dans la communauté était encadrée, parfois corsetée, par la coutume et les obligations féodales.

  • L’impôt, souvent en nature (blé, vin, volailles), représentait un lourd fardeau ; la taille et la dîme seigneuriale sont contestées à plusieurs reprises, notamment lors du célèbre “refus collectif de payer la dîme” de 1750, rapporté dans le registre du bailli (AD86).
  • Des procès fréquemment intentés pour des “affaires de bornage”, de pâturage ou de contestation de droits de passage rythment le quotidien judiciaire du village.
  • L’armée réclame hommes et chevaux lors du passage de régiments ou de réquisitions – en 1814 (campagne de France), la commune verse “14 quintaux de foin et 5 hommes” pour la logistique napoléonienne (délibérations communales de l’époque).

Le XIXe siècle apporte un vent nouveau : désenclavement progressif avec l’amélioration des routes, arrivée du premier instituteur communal (1842), apparition des sociétés d’entraide mutuelle (archives municipales).

Petits mystères, superstitions et justice ordinaire

De nombreuses archives judiciaires locales témoignent d’un quotidien marqué par les croyances :

  • On trouve trace, en 1689, de l’accusation de “sorcellerie” contre une vieille femme, vite abandonnée – les superstitions ont parfois cohabité longtemps avec la foi chrétienne (référence : AD86, procédures locales B181).
  • Au XVIIIe siècle, le Conseil interdit la danse “le soir de la Toussaint” après plusieurs incidents au cabaret, dénoncés comme “troubles à l’ordre public”.
  • La justice locale, souvent arbitre des affaires de voisinage (vol de pommes, querelles sur les arbres fruitiers “empiétant sur la clôture du voisin”), doit surtout régler de petits conflits parfois hauts en couleur.

Les échos du passé : héritage et transmission dans la mémoire villageoise

Château-Larcher ne s’est pas construit sur un mythe, mais sur la force de ses habitants et leur capacité à traverser les difficultés : guerres, famines (famine locale de 1726, rareté du froment documentée dans les actes paroissiaux), révolutions des modes de vie au fil des siècles.

  • La transmission prend corps dans chaque recoin : un linteau daté, un puits commun, des festes perpétuées (comme la Saint-Laurent chaque été).
  • Les histoires orales enseignent ce que les archives laissent parfois de côté : la débrouillardise, la solidarité, l’attachement viscéral à la terre et aux mots du patois.

En s’immergeant dans les archives, chaque détail devient une clé pour comprendre notre présent, la forme des chemins, la mémoire gravée des noms sur les pierres, et ce goût intact pour la vie partagée entre les générations.

Pour approfondir : Archives départementales de la Vienne (https://archives-vienne.vienne.fr/), enquêtes sur le patrimoine oral (Inventaire Général Région Nouvelle-Aquitaine), cadastre napoléonien AD86, registres paroissiaux, “Vie quotidienne en Poitou” (Ch. Bidault, éd. Ouest-France, 1986).

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