12/07/2025

Château-Larcher : un bastion discret au temps de la guerre de Cent Ans

Le Poitou, une région au cœur des conflits

Pour comprendre le rôle de Château-Larcher durant la guerre de Cent Ans, il faut se pencher sur la situation du Poitou à l’époque. Juste au nord de l’Aquitaine anglaise, la région forme une frontière complexe entre les possessions françaises et anglaises. Selon l’historien Philippe Contamine, Poitiers fut à plusieurs reprises le théâtre d’avancées et de retraites successives, oscillant au gré des traités et des conquêtes (France Culture).

  • En 1362, la victoire anglaise à la bataille de Poitiers a renforcé la pression sur tout le Sud-Vienne.
  • La région est reprise par les Français vers la fin du siècle, provoquant exodes, pillages et tensions chez les habitants de villages comme Château-Larcher.

Fortifications et stratégie : Château-Larcher sous la menace

Au XIVe siècle, Château-Larcher est déjà un bourg fortifié, mentionné dès 1060, mais c’est dans le contexte de la guerre de Cent Ans que ses défenses gagnent toute leur importance. Les remparts, les tours rondes (dont l’imposante tour-porte), la motte féodale et l’église fortifiée Saint-Étienne incarnent l’idée d’un refuge capable de résister à des bandes de “routiers”, ces compagnies de mercenaires désœuvrées qui, une fois la trêve signée, se jetaient sur les campagnes.

Selon les archives départementales de la Vienne (cote E 461), de nombreux actes notariés mentionnent la “réparation des forticacions et de la tour”, révélant une activité constante d’entretien. Cela démontre que :

  • Les habitants participaient financièrement et physiquement à la consolidation des défenses.
  • Des travaux d’urgence pouvaient être ordonnés lors de rumeurs de passage de troupes.

Un chiffre marquant, tiré des registres de taille de 1370 : 35 foyers imposables à Château-Larcher, soit 100 à 150 personnes, dans leur immense majorité paysans et artisans venus se réfugier contre les assauts extérieurs.

Entre deux royaumes : influences et alliances changeantes

La vie d’un seigneur de Château-Larcher à cette époque n’a rien d’un long fleuve tranquille. Sous la suzeraineté des comtes de Poitiers, les lignées locales se retrouvent régulièrement tiraillées entre fidélités françaises et alliances ponctuelles avec la couronne d’Angleterre. Le premier seigneur connu, Aimeri de Larcher, entretient des liens avec les Montmorency et les Lusignan, deux familles tour à tour alliées ou rivales des grandes puissances du moment.

  • Lors du Traité de Brétigny (1360), le sud du Poitou est brièvement cédé à la couronne d’Angleterre : certaines places fortes, Château-Larcher compris, prêtent serment à Édouard III.
  • Mais dès 1372, la reconquête par Du Guesclin ramène la fidélité française au devant de la scène – la forteresse évite alors d’être saccagée grâce à la diplomatie locale et à l’absence d’engagement ouvert en faveur des “Anglois”.

Ce double jeu, courant dans les fiefs du Sud-Ouest, éclaire la complexité d’un Moyen Âge où la survie du village primait sur le choix d’un camp unique. Le chroniqueur Froissart évoque également (Chroniques, éd. livre IV) la prudence des bourgs “qui se gardaient bien d’accueillir gens d’armes de l’un ou l’autre parti sans certificat du seigneur”.

Quand la guerre bouleverse la vie quotidienne

Derrière la solidité des murailles, la vie des villageois pendant la guerre de Cent Ans est tout sauf tranquille. Plusieurs épisodes ressortent des sources :

  • Le ravitaillement : les blés, salaisons et réserves de vin sont régulièrement taxés par “ceux du dehors” (soldats, routiers, collecteurs d’impôts des deux camps).
  • Les abords du village sont rasés à plusieurs reprises pour empêcher l’ennemi d’y camper.
  • D’après le témoignage du prêtre Arnaud de Brion, un registre de 1384 signale des épidémies de dysenterie chaque fois que la population se masse derrière les murailles pour se protéger.

L’économie locale s’en ressent fortement. Les foires, traditionnellement tenues autour du 29 septembre, deviennent plus rares et le troc prend le relais de la monnaie. Pourtant, preuve d’un attachement profond à leur terre, peu d’habitants désertent complètement la région – seuls 6 actes de mutation de propriété entre 1350 et 1400 attestent de départs définitifs (archives notariales, Archives de la Vienne, E 474).

Un territoire marqué par les “grandes compagnies”

Un épisode emblématique de la guerre de Cent Ans : le passage des “grandes compagnies” en Poitou dans les années 1360-1380. Majoritairement composées de soudards sans attaches, ces bandes pillent, rançonnent, saccagent bourgs et prieurés. En 1371, des “compagnies” anglaises, chassées de Chauvigny, font halte près de Château-Larcher selon le cartulaire du chapitre de Saint-Hilaire de Poitiers. C’est à ce moment que les archives locales signalent le creusement de nouveaux fossés, ainsi que l’organisation de veilles nocturnes et d’une milice rurale de 19 hommes, menée par le prévôt Pierre Raoul.

Des anecdotes orales racontent encore, lors des veillées d’automne :

  • Comment les caves du château auraient accueilli en urgence le bétail du village durant les alertes.
  • Le souvenir d’une “porte de la miséricorde”, une ouverture condamnée depuis, par laquelle on admettait les fuyards… sous conditions.

La paix difficile et la renaissance du village

L’après-guerre de Cent Ans n’efface pas d’un coup les séquelles du conflit. Les murailles, malmenées, ne seront restaurées dans leur intégralité qu’au XVIIe siècle. Mais les générations suivantes, portées par le renouveau agricole et la stabilisation politique, ouvrent de nouveaux chemins. Certains murs de la vieille enceinte – visibles aujourd’hui – intègrent d’anciennes pierres de calage héritées de la période médiévale, où chaque ressource comptait.

En parcourant les rues de Château-Larcher, l’œil averti repère encore :

  • L’appareillage roman de l’église, en partie surhaussé lors des peurs de la guerre de Cent Ans.
  • Le dessin général du bourg, resserré autour de la motte et marqué par les tracés des anciennes palissades.

Ces détails, bien visibles à qui prend le temps d’observer, témoignent de la capacité de résilience de ce village qui, loin des champs de bataille célèbres, a traversé la guerre de Cent Ans avec prudence, ténacité, et une impressionnante faculté d’adaptation.

Pour explorer l’histoire de Château-Larcher au fil des siècles

  • Des visites guidées permettent de parcourir le village à la lumière de ces événements – renseignez-vous auprès de la Mairie ou des associations locales ( Site officiel de Château-Larcher ).
  • De nombreux éléments sont accessibles en visite libre : l’enceinte, l’ancienne porte fortifiée, l’église Saint-Étienne et le tracé des remparts.
  • Pour approfondir : consultez les ouvrages “La Guerre de Cent Ans en Poitou” de Bernard Chevalier (CNRS Éditions), les Chroniques de Froissart, et le fonds médiéval des Archives départementales de la Vienne.

Prendre le temps de parcourir Château-Larcher aujourd’hui, c’est encore ressentir le souffle discret de ces siècles agités, percevoir les traces de la peur, de l’endurance mais aussi de la vie qui, malgré tout, a continué derrière les remparts.

Lecteurs, la prochaine fois que vous arpenterez les ruelles, levez les yeux vers les pierres ou frottez la main sur la pierre grise de l’ancienne porte : c’est mille ans d’histoire qui résonnent encore ici, tout simplement.

En savoir plus à ce sujet :