20/07/2025

Redécouvrir Château-Larcher à l’ombre des pierres gallo-romaines

La région de Château-Larcher dans l’Antiquité : contexte et cartographie

Avant d’examiner les traces gallo-romaines à proprement parler, il n’est pas inutile de rappeler la position singulière de Château-Larcher pendant l’Antiquité. Située à une quinzaine de kilomètres au sud de Pictavium (Poitiers), chef-lieu de la cité des Pictons, la commune occupait une zone charnière entre plaines agricoles et premières collines du Limousin.

Les voies romaines — dont la fameuse “Via Agrippa” reliant Lyon à Saintes — ne passaient pas directement à Château-Larcher mais les axes secondaires foisonnaient. Plusieurs chercheurs du Bulletin de la société préhistorique du Poitou ont recensé, autour du village, des points de franchissement du Clain et des indices d’occupation gallo-romaine parfois disséminés dans les haies, les vignes, et en plein cœur des champs.

  • Proximité du Clain, facilitant les échanges et le transport
  • Présence de terres riches, propices à la culture céréalière dès l’Antiquité
  • Située non loin de la route romaine Poitiers–Limoges, essentielle pour le commerce régional

Des vestiges gallo-romains dans le sous-sol : découvertes et fouilles à Château-Larcher

Contrairement à des sites célèbres comme Sanxay ou Chassenon, pas de grand sanctuaire ou théâtre sur la commune. Et pourtant, Château-Larcher a livré au fil des décennies quelques objets précieux, souvent révélés par des travaux agricoles ou de simples aménagements.

  • Poteries et amphores : Plusieurs fragments d’amphores gauloises et d’amphores Dressel (provenant de la péninsule italienne) ont été exhumés près du hameau de la Ronce et sur les coteaux proches du bourg. Une partie de ces tessons est aujourd’hui conservée au dépôt d’archéologie départemental.
  • Monnaies et petits objets métalliques : Parmi les trouvailles signalées au XIXe siècle figure une belle série de monnaies du Bas-Empire (IIIe-IVe siècles), retrouvée lors du drainage des zones humides derrière le donjon (source : RAIF - Revue Archéologique de l’Ouest).
  • Vestiges de constructions : De rares éléments de maçonnerie (morceaux de tegulae, les tuiles romaines, et d’enduits peints) sont parfois signalés dans les fondations de certains bâtiments agricoles anciens du secteur.

La majorité de ces découvertes ont été faites accidentellement, témoignage d’une occupation diffuse, sans doute rattachée à des hameaux agricoles plutôt qu’à une véritable “ville” antique.

La villa gallo-romaine de la Villedieu : un site emblématique mais méconnu

Le site le plus notable, quoique modeste, reste celui de la « Villedieu », à l’est du bourg. Découvert au début du XXe siècle lors de travaux de nivellement, ce secteur a livré plusieurs éléments caractéristiques d’une petite villa gallo-romaine :

  • Restes de murs en moellons calcaires, formant un quadrilatère d’environ 15m sur 20m
  • Dalles de calcaire et tessons de mosaïque blanche et rouge, signe probable d’un sol décoré
  • Des fragments de vaisselle en sigillée (céramique fine à vernis rouge)
  • Quelques objets en os travaillés et un dé à jouer en bronze – preuve de la vie quotidienne sur ce site

Les spécialistes, comme l’archéologue Philippe Rolland (Université de Poitiers), estiment que ces vestiges datent du IIe siècle et témoignent d’une exploitation agricole d’une certaine aisance, peut-être liée aux fournisseurs de la ville de Poitiers. La villa n’a jamais fait l’objet de fouilles exhaustives, mais elle continue d’intriguer les amateurs d’histoire locale.

Échos subtils de l’Antiquité dans le patrimoine construit

Lui donner un visage ou une silhouette reste un défi : à Château-Larcher, l’époque gallo-romaine s’entête à jouer à cache-cache avec les curieux. Il existe néanmoins quelques passerelles discrètes entre passé et présent :

  • Réemploi de matériaux antiques : Par endroits, les murs des caves ou des remises du vieux bourg renferment des dalles et moellons d'origine romaine, récupérés lors de l’édification du village médiéval. Si le panage de l’église n’est pas clairement antique, un linteau sculpté utilisé sur une ferme de la rue des Bouleaux attire l’attention des spécialistes (voir POP-Culture, Ministère de la Culture).
  • Tracé des chemins : Certains chemins actuels épousent l’itinéraire d’anciens sentiers antiques, comme celui menant au cimetière nord, qui présente par endroits des alignements rectilignes typiques des voies romaines.
  • Disposition des parcelles agricoles : Plusieurs études cadastrales (source : Archives départementales de la Vienne) illustrent la reprise d’anciens lotissements antiques dans le parcellaire actuel, principalement dans la zone de la Vallée du Clain.

Entre mémoire locale et l’oubli : anecdotes et transmission

La rareté des vestiges n’a pas empêché les habitants de Château-Larcher d’entretenir une certaine mémoire, parfois teintée de légende. On raconte, par exemple, que le puits ancien du hameau de la Font-aux-Chiens remonterait « au temps des Romains » — même si aucune preuve archéologique ne l’atteste ! De nombreux habitants se souviennent d’avoir ramassé des fragments d’amphores ou d’anciens objets métalliques à la faveur de promenades dominicales, parfois exposés lors des journées du patrimoine local.

  • Des anecdotes collectées lors d’expositions associatives dans la salle des fêtes
  • Les témoignages oraux des anciens, “les Romains” servant souvent de repère temporel pour qualifier tout vestige ancien
  • La toponymie des lieux-dits : “la Mouttière” (du latin “monticulus”), “la Garenne” (terrain de chasse antique ?) – indices linguistiques d’un passé gallo-romain

Les écoles du village, dans leurs projets pédagogiques, réutilisent de temps à autre ce patrimoine comme support de découverte, invitant les enfants à suivre un “parcours archéo” à la recherche de tessons ou de morceaux d’histoire.

Ce qu’il reste à découvrir : défis et perspectives autour du patrimoine antique

À ce jour, Château-Larcher n’a pas encore connu de grande campagne de fouille dédiée à l’Antiquité, contrairement à d’autres communes voisines. Plusieurs raisons peuvent être avancées : l’absence de vestiges spectaculaires, des moyens limités, mais aussi la nécessité de préserver les terres agricoles en exploitation. Pourtant, la commune fait aujourd’hui partie du programme national “Atlas des patrimoines” qui encourage inventaire et protection du petit patrimoine antique.

Quelques initiatives voient d’ailleurs déjà le jour :

  • Signalisation des lieux d’intérêt archéologique lors des balades guidées estivales par l’Office de Tourisme du Pays de la Vienne.
  • Rencontres avec des archéologues locaux dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine, qui permettent d’échanger sur l’histoire cachée du village.
  • Inventaires photographiques lancés par des habitants passionnés, notamment sur les réseaux sociaux et les plateformes dédiées comme INRAP.

Les scientifiques ne désespèrent pas de retrouver un jour, au détour d’un nouveau chantier ou d’une analyse satellite plus fine, la trace d’un sanctuaire, d’une nécropole ou d’un atelier de potiers enfoui depuis des siècles.

L’héritage antique, fil discret dans le paysage de Château-Larcher

Les traces de l’époque gallo-romaine à Château-Larcher se présentent comme des fils ténus, à peine visibles parfois, mais bien réels lorsqu’on apprend à regarder. Fragments de céramiques, alignements de vieilles pierres, souvenirs d’habitants : tout participe à dessiner, en pointillés, une histoire rurale et foisonnante qui s’enracine dans l’antique.

C’est probablement là toute la singularité de Château-Larcher : offrir à ses visiteurs et résidents, au détour d’un sentier ou d’un mur moussu, une invitation à la lecture du paysage — un paysage où chaque génération, de l’époque gallo-romaine à aujourd’hui, a laissé son chapitre. Les vestiges matériels sont rares mais la mémoire, elle, demeure vive et partagée. Rien de grandiloquent, mais une peinture patiente, à l’image du village.

Pour toute envie d’en savoir plus ou de partir sur les traces de l’Antiquité locale, n’hésitez pas à visiter la salle d’exposition de l’Office de Tourisme du Sud-Vienne, à consulter les archives départementales, ou… à prêter l’oreille aux anciens du village, qui n’ont pas leur pareil pour dénicher la pépite d’histoire.

Sources principales : Bulletin de la société préhistorique du Poitou, Archives départementales de la Vienne, RAIF - Revue Archéologique de l’Ouest, INRAP, POP-Culture (Ministère de la Culture).

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