05/08/2025

Quand les souvenirs forgent le présent : transmettre la mémoire à Château-Larcher

Un passé mis en lumière : comprendre les enjeux de la transmission

À première vue, Château-Larcher, avec ses murs blonds, sa silhouette médiévale, pourrait ressembler à ces villages où le passé sommeille, discret, voilé derrière la brume des souvenirs. Ici pourtant, la mémoire demeure une affaire bien vivante, une responsabilité collective, une histoire en mouvement. Car faire vivre la mémoire, ce n’est pas seulement conserver des vieilles pierres : c’est faire dialoguer le patrimoine, les gestes, les voix, avec le présent.

Cette transmission n’a rien d’abstrait. Elle dissimule un véritable enjeu : celui de l’ancrage, d’une identité locale, mais aussi d'une capacité à renouveler le regard des générations nouvelles. À l’heure où la ruralité évolue, Château-Larcher invente ses propres chemins de mémoire.

Patrimoine bâti : conserver, restaurer, interpréter

Ici, les vestiges parlent encore : la forteresse médiévale, classée Monument Historique depuis 1926 [Base Mérimée], la porte fortifiée, ou l’église Saint-Étienne, célèbre pour ses fresques romanes découvertes au XXe siècle. Mais préserver ces témoins d’hier ne suffit pas. La commune et les associations multiplient les actions pour que le patrimoine ne soit pas un simple décor.

  • Visites guidées thématiques : Chaque été, une douzaine de visites, balades ou animations rassemblent curieux et locaux autour d’histoires inattendues. La démarche n’est plus de décrire, mais d’expliquer et de raconter, en replaçant chaque bâtiment dans la trame humaine et politique du village.
  • Journées du Patrimoine : En 2023, près de 350 visiteurs se sont pressés à Château-Larcher pour le week-end dédié, un record pour la commune (source : Mairie de Château-Larcher). L’occasion de voir plusieurs espaces fermés habituellement, mais aussi d’associer les plus jeunes avec des ateliers de découverte archéologique ou d’héraldique.
  • Expositions et panneaux : Un parcours de panneaux informatifs, reliant l’église, la place, la porte nord et la salle d’exposition, propose un fil rouge pour déambuler avec des clés de lecture accessibles à tous, habitants comme visiteurs d’un jour.

Ce travail d’interprétation, mené conjointement par la commune, l’association Les Amis du Vieux Château et la Société des Antiquaires de l’Ouest, fait écho à une tendance nationale : on passe d’une conservation statique à une médiation créative.

La mémoire racontée, partagée, réinventée

Les archives vivantes : paroles d’habitants

Dans les cafés de Château-Larcher ou pendant le marché des producteurs, l’histoire ne se transmet pas qu’à travers les livres. Dès 2018, un projet de "mémoire parlée" a vu le jour, impulsé par l’association de sauvegarde locale. Objectif : recueillir les récits des aînés, sur cassette ou vidéo, pour garder trace du XX siècle – du train à vapeur qui s’arrêtait au hameau des Chauvets, à la grande crue de 1960 qui a marqué toute une génération. L'ENS (Espace Naturel Sensible) de la vallée, géré avec le Département, encourage aussi ces collectes lors d’animations autour du patrimoine naturel.

  • Près de 15 heures de témoignages aujourd’hui accessibles, avec un projet de valorisation en ligne prévu pour 2025.
  • Un recueil de souvenirs publié par la bibliothèque municipale en 2021 s’est écoulé à plus de 120 exemplaires, touchant un large public, des collégiens aux anciens.

Car la transmission s’effectue aussi en mêlant passé et présent : lors d’un atelier intergénérationnel mené à l’école élémentaire, élèves et grands-parents se sont penchés sur "l’école de leur temps", dessinant des frises chronologiques collectives et échangeant autour d’objets du quotidien (encriers, blouses, photos de classe).

Fêtes, traditions et permanence du lien collectif

Certains rituels restent le fil invisible qui tisse la mémoire. La fête médiévale, organisée tous les deux ans depuis 1993, rassemble chaque édition un millier de participants (chiffre de la mairie, 2022). S’y conjuguent démonstrations de métiers anciens, reconstitutions de batailles (sans oublier les fameuses fouées cuites au four du village).

La société de chasse, vieille de plus de 60 ans, perpétue également les veillées hivernales et les toponymes ruraux, tandis qu’un collectif plus récent, “Mémoire du terroir”, recense les appellations anciennes de champs et de clos, souvent oubliées lors des remembrements agricoles.

  • En 2023, ce collectif a recensé plus de 80 micro-toponymes autour de Château-Larcher, restitués sous forme de cartes illustrées affichées en mairie.
  • La fête patronale de septembre, quant à elle, associe désormais une exposition photo “Hier et aujourd’hui”, créée grâce aux contributions des familles du village.

Transmettre autrement : patrimoine naturel et gestes d’hier

Les paysages, une archive vivante

Souvent oubliée, la mémoire du passé s’inscrit aussi dans le paysage : les vignes en terrasses de la vallée du Clain, relictes de l’ère vinicole du XIX siècle, sont à nouveau explorées lors de circuits guidés (près de 180 participants lors de la dernière édition automnale, selon l’office de tourisme du Pays de Lavausseau, 2023).

Sensibiliser au patrimoine naturel, c’est rappeler le lien entre les pratiques agricoles d’hier et les écosystèmes d’aujourd’hui : les ateliers sur la haie bocagère associent ainsi botanistes, agriculteurs et scolaires, autour du recensement des arbres “remarquables” ou des inventaires de mares.

  • Plus de 70 enfants de l’école de Château-Larcher ont participé à des herbiers croisés avec d’anciens habitants, contribuant à la transmission de savoirs naturalistes locaux.

Gestes, métiers et savoir-faire

La transmission passe par le geste : ateliers de taille de pierre avec un artisan du village (dernier en date, Étienne Montagné, diplômé des Compagnons du Devoir), initiation à la fabrication du pain dans le four communal remis en service en 2016, ou encore démonstrations de tressage d’osier supervisées par la famille Demay, vanniers établis depuis trois générations. Des savoir-faire longtemps en sommeil trouvent ici l’occasion de renaître pour les jeunes comme pour les nouveaux arrivants.

  • Près de 50 personnes ont découvert la taille de pierre lors des dernières Journées du Patrimoine (statistique communale, 2023).
  • Plus de 100 baguettes cuites selon la recette locale à base de levain naturel ont été partagées lors de la dernière “Fête du Pain”.

Écoles, numérique et réseaux : inventer la transmission de demain

À Château-Larcher, transmettre la mémoire ne rime pas forcément avec nostalgie. L’école du village, partenaire régulier des associations patrimoniales, propose depuis 2019 un module baptisé “Décoder le village”, où les élèves créent cartes sensibles, podcasts et photoreportages sur la vie locale, avec le soutien de la DRAC et de la Mission Locale.

  • Disponibles sur le site de la mairie, ces micro-reportages sont visualisés chaque année plus de 400 fois, selon l’analytics du site communal.
  • En 2022, 2 classes ont co-réalisé une exposition sur “Les maisons d’avant”, croisant mémoire orale, documents d’archives et reconstitutions numériques.

Enfin, l’ère numérique devient progressivement un outil de mémoire : début 2024, la commune a lancé un appel à la population pour collecter cartes postales anciennes, journaux de famille, objets du quotidien, en vue d’une “galerie virtuelle” qui sera accessible depuis le nouveau site de la communauté de communes. Un projet soutenu par les Archives Départementales de la Vienne qui vise à faire dialoguer l’histoire locale à l’échelle du territoire.

Perspectives : un passé à vivre, une mémoire à cultiver

À Château-Larcher, la mémoire du passé n’est ni un musée ni une nostalgie figée. Elle se construit dans l’échange, l’action collective, l’envie de relier habitants de longue date, nouveaux arrivants et visiteurs curieux. Au gré des initiatives, la transmission s’ajuste aux nécessités du moment : outils numériques, projets scolaires, fêtes revisitent les traces du passé pour en faire matières à rencontres et à créativité.

Tout l’enjeu, demain, sera de continuer à tisser ce fil, où habitants, témoins, passionnés ou simples promeneurs trouvent leur place pour perpétuer l’âme d’un village qui regarde son histoire droit dans les yeux – sans jamais cesser de la partager.

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