26/09/2025

Ombres et pierres : À la découverte des fortifications oubliées de Château-Larcher

Le portrait d’un village fortifié, jadis puissance et refuge

Château-Larcher, perché au cœur du Sud-Vienne, frappe par la douceur de ses paysages et la prégnance de son passé. Au Moyen Âge, ce village ceint de protections imposantes servait à la fois d’ultime rempart et de foyer pour ses habitants, dans une région alors marquée par les tensions féodales et les ambitions ducales. Si sa silhouette actuelle semble modestement blottie autour de son église, la mémoire de ses fortifications, elle, hante encore le relief du bourg.

Mais que subsiste-t-il réellement des murailles, des tours et des fossés qui, du XI siècle au XVe siècle, ont dessiné la vie et survécu à l’assaut des siècles ? Pour éclairer ce pan singulier du patrimoine, embarquons pour une déambulation entre traces visibles, archives, anecdotes et rencontres.

Derrière la carte postale, l’épaisseur d’une histoire défensive

Parcourir Château-Larcher aujourd’hui, c’est marcher sur les pas d’un village autrefois érigé en forteresse. Les premières traces de fortifications remontent au moins au XII siècle, à une époque où la région, frontière disputée entre Poitou et Limousin, change souvent de mains. Les murs, adaptés au terrain, dessinaient un large enclos, englobant château seigneurial, logis, basse-cour, église et dépendances villageoises.

  • Surface fortifiée initiale : environ 2 hectares, englobant le cœur médiéval et une partie des actuelles habitations (Source : Inventaire Général, Monuments et Richesses Artistiques de la France).
  • Longueur de l’enceinte : estimée à 340-350 mètres linéaires selon les relevés cadastraux du XIX siècle et l’étude patrimoniale Pierre-Marie Auzas (1966).
  • Nombre de tours : jusqu’à 10 points défensifs furent recensés aux angles et portes de la forteresse (Jean-Henri Allard, "Les fortifications villageoises du Poitou", 1985).
  • Accessibilité : Deux portes médiévales principales, dont la plus fameuse, l’actuelle Porte du Bourg, seul accès conservé.

Si le village a perdu une part de ses défenses, certains reliefs, murs et aménités nous rappellent encore les impératifs de sécurité du Moyen Âge.

Le témoignage des pierres : que voir aujourd’hui ?

Il serait trop rapide de dire que Château-Larcher a perdu tout souvenir fortifié. En se donnant la peine, l’observateur attentif repère, disséminés dans le tissu urbain :

  • La Porte du Bourg : C’est la pièce maîtresse des vestiges, un arc de pierre massif couvert d’un arc en plein cintre, surmonté d’une meurtrière transformée en simple ouverture. Son passage, resserré à 2,20 mètres, rappelle que chaque visiteur ou habitant trouvait contrôle et sécurité dans cette étroite anfractuosité.
  • Les murs de l’enceinte : Plusieurs sections de maçonnerie médiévale sont encore visibles dans la rue de Bourrassat et en bordure de jardins privés. Le parement de moellons bruts, mêlé de pierres de taille, impose le respect et témoigne d’une technique défensive efficace — entre 1,20 mètre et 1,40 mètre d’épaisseur selon les relevés du Service Régional d’Archéologie (2007).
  • L’ancienne tour de guet : Greffée à une habitation, elle montre encore un départ de voûte, percée de petites fenêtres défensives. Le rez-de-chaussée en berceau de pierre aurait accueilli les guetteurs ou le stockage de vivres.
  • Des vestiges du fossé : Au sud-est, la toponymie locale (la Prée du Fossé) n’est pas anodine : sous la végétation, on distingue encore le tracé du profond fossé qui barrait l’accès depuis la campagne.

De nombreux fragments de ces fortifications ont, comme souvent, été réemployés au fil des siècles, servant à la construction de maisons ou de dépendances agricoles. Il n’est pas rare, dans une étable, de tomber sur une pierre à bossage médiévale recyclée de la muraille. Le patrimoine vit parfois caché !

Chronique d’une lente disparition

Au fil de l’histoire, logiques de guerre et de progrès ont eu raison de l’intégrité de la forteresse. Plusieurs facteurs expliquent cette lente amnésie de pierre :

  • La paix royale puis la centralisation : À partir du XVe siècle, les guerres féodales s’estompent : les villageois privilégient le confort et percent les murs pour élargir les accès.
  • La Révolution française : Comme ailleurs, la période révolutionnaire marque la décroissance des murs symboles de féodalité. Les démolitions sont encouragées ou rendues possibles par les ventes de Biens nationaux.
  • La reconstruction des XIX et XX siècles : Les mœurs rurales n’hésitent pas à puiser dans ces « carrières à ciel ouvert » pour bâtir granges, escaliers et murets.

Malgré tout, le témoignage des archives reste crucial. Mémoire de la commune, de vieux plans cadastraux et des minutes notariales du XVIII évoquent par exemple des « portes détruites » ou des « propriétés à l’emplacement de la vieille forteresse ». On devine alors, sous les pieds, l’autre versant du village, disparu mais pas oublié (Source : Archives Départementales de la Vienne, série E).

Les anecdotes qui font vivre les murs

La vie des fortifications ne peut se résumer à des pierres. Elle s’incarne encore dans plusieurs anecdotes transmises par les plus anciens ou consignées dans les livres d’histoire :

  • L’assaut de 1356 : Durant la chevauchée du Prince Noir, les Anglais ravagent la région (Gilles Roussineau, "Poitiers 1356, la bataille oubliée", éd. Perrin, 2017). Château-Larcher, bien défendu, aurait résisté quelques jours à une troupe de pillards. Le prêtre du village, selon la chronique locale, aurait négocié la reddition pour épargner l’église et obtenir la clémence des assiégeants.
  • Des souterrains secrets : Plusieurs caves relient encore les habitations à des vides sous la place publique. Il se raconte qu’en cas de siège, des enfants passaient discrètement sous le village pour ravitailler les assiégés.
  • L’arbre de la liberté sur l’ancien bastion : Lors de la Révolution, un chêne fut planté à la place d’une ancienne tour, symbole de la liberté s’élevant sur la ruine du temps féodal. Il ombrage encore aujourd’hui le cœur du village !

Visiter et ressentir : un circuit pour curieux de patrimoine

Pour saisir l’importance — et la fragilité — des vestiges, rien ne vaut la découverte sur place. Voici quelques conseils pour une promenade attentive :

  1. Commencer à la Porte du Bourg. S’attarder sur la taille des pierres et repérer, au-dessus du linteau, les traces de l’ancien assommoir qui permettait de repousser les assaillants.
  2. Remonter la rue de l’Enceinte. Sur la droite, un pan de mur ancien signale l’ancienne limite nord. Une petite plaque explicative, posée par la municipalité, rappelle son usage.
  3. Suivre le sentier vers l’église Saint-Jean-Baptiste, joyau roman, dont l’abside fut intégrée à un pan de défense. On y distingue encore les vestiges de l’escalier qui menait jadis à la barbacane.
  4. Explorer les ruelles du sud. Derrière les maisons, le dénivelé du terrain et la densité de talus évoquent le tracé de l’ancien fossé.
  5. S’arrêter à la mairie ou à l’office de tourisme. Y demander la brochure patrimoniale (édition communale 2021), riche d’infos et de photos anciennes.

Astuce de visite : les Journées Européennes du Patrimoine (chaque septembre) sont l’occasion de suivre une visite guidée menée par un passionné local ou un guide-conférencier, offrant souvent des ouvertures inédites dans des propriétés privées habituellement fermées au public.

Préserver l’esprit fortifié : initiatives et vie locale

Loin d’être l’affaire des seuls historiens, la mémoire de ces fortifications anime régulièrement la vie du village. Plusieurs initiatives récentes ont permis une relecture collective de ce passé défensif :

  • La mise en valeur de la Porte du Bourg, restaurée en 2019 avec l’aide de la Fondation du Patrimoine et du Département de la Vienne. L’étude de restauration fut aussi l’occasion de recueillir des témoignages familiaux sur l’utilisation des lieux autrefois comme passage des processions ou abri lors des intempéries.
  • Des animations scolaires, chaque année, où les enfants retracent à la craie sur la place le périmètre de l’ancienne enceinte, découvrant l’étendue du site sous leurs pieds.
  • Le festival « Château-Larcher en scène », dont certains spectacles empruntent les ruines et les remparts restants comme décor naturel.
  • Un projet citoyen de signalétique, amorcé en 2023, pour mieux guider les visiteurs vers ces traces souvent discrètes (Commune de Château-Larcher, Conseil Municipal 2023).

Enfin, une association locale, « Les Amis du Patrimoine de Château-Larcher », collecte photos, récits et plans anciens afin d’alimenter une future exposition. Avis aux passionnés : la mémoire des fortifications reste vivante, pour qui veut bien prendre le temps d’écouter les pierres.

L’héritage en filigrane : ce que les fortifications disent encore du village

Aujourd’hui, même réduites à l’état de vestiges ou de souvenirs, les fortifications façonnent encore l’esprit des lieux. Le plan du village, concentrique autour de l’église, la répartition des ruelles, le nom de certaines maisons (« La Tour », « Le Fossé ») rappellent que la communauté s’est pensée, dès ses origines, comme une entité soudée et protégée. Ce passé fortifié structure jusqu’aux relations de voisinage ou à la générosité associative qui sont la marque de Château-Larcher.

Celui ou celle qui arpente les venelles, s’arrête devant un vieux mur moussu ou observe le découpage de l’espace, comprend vite que la vraie force des fortifications réside moins dans ce qu’elles montrent que dans ce qu’elles nous transmettent : un attachement à la mémoire, à la solidarité, à une certaine idée de la tranquillité paysanne — d’hier à aujourd’hui.

Ressources et pour aller plus loin :

  • Brochure patrimoniale de la commune, 2021 (disponible mairie/office tourisme)
  • Base Mérimée, Inventaire général du patrimoine culturel : notice PA00105473 (Ministère de la Culture)
  • Archives Départementales de la Vienne (série E, plans et documents cadastraux)
  • Ouvrage « Les fortifications villageoises du Poitou » (Jean-Henri Allard, 1985, Ed. Picarta)
  • Article La Nouvelle République « Château-Larcher, village fortifié » (12/09/2019)

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