16/11/2025

Château-Larcher et ses sanctuaires oubliés : remonter la piste des lieux de culte disparus

Ce que disent les sources : archives, cartulaires et mémoire locale

Les lieux de culte, modestes chapelles ou puissantes églises, ne naissent jamais par hasard. Ils racontent la géographie d’une époque, les mouvements des populations, la spiritualité des communautés. À Château-Larcher, l’enquête commence dans les archives départementales de la Vienne, les cartulaires anciens, les bulletins paroissiaux et surtout, dans la vivacité de la mémoire orale.

  • Le cartulaire de Nouaillé-Maupertuis (XII siècle, BNF) signale la présence de donations faites à des autels aujourd’hui disparus sur le territoire de Castrolarcherio.
  • La monographie communale de l’instituteur Christian Roullet (1901) évoque “les ruines d’une petite chapelle dédiée à Saint-Michel sur les hauteurs du Bouchet”, disparues déjà à la fin du XIX siècle.
  • Louis Roudière, dans ses recherches sur le canton de Vivonne (Revue du Bas-Poitou, 1929), mentionne la “chapelle rurale de Saint-Fiacre” dans la paroisse de Château-Larcher, détruite pendant les Guerres de Religion.

Les énoncés diffèrent, les détails varient, mais plusieurs points convergent : la plupart de ces sanctuaires se trouvaient à l’écart du bourg, sur les routes antiques ou à la croisée de chemins ruraux, là où l’on priait pour la pluie, la récolte ou la guérison.

Remonter la piste des chapelles rurales disparues

Dévoiler la mémoire des petits édifices religieux, souvent construits entre le XI et le XIV siècle, c’est se heurter à l’absence : elles furent détruites, réemployées en granges, ou simplement abandonnées avec la Révolution, faute de fidèles ou de moyens. Pourtant, quelques indices subsistent.

Sainte-Marie du Hameau du Bouchet : l’ombre d’une chapelle

Au Bouchet, ancien hameau de carriers et d’agriculteurs, les ouvriers découvraient en 1882 “des blocs de pierre de taille et un linteau à croix”, selon L’Écho du Poitou. Ceux-ci proviendraient de Sainte-Marie, une modeste chapelle dont l’existence est attestée dans une liste de 1637. Certains anciens racontent que jusqu’au début du XX siècle, on venait y bénir les semences au printemps.

Saint-Fiacre et la peste : un sanctuaire pour conjurer les fléaux

Saint-Fiacre figure dans le martyrologe comme “patron des jardins”. Sa chapelle, isolée entre la route d’Aslonnes et la Grand’Terre, faisait l’objet d’un pèlerinage local lors des épidémies. Les derniers vestiges auraient été repris pour bâtir un lavoir, mais la toponymie survit : la “fuie de la chapelle” figure encore sur le cadastre napoléonien (section C, 1832, Archives départementales de la Vienne).

Saint-Michel, sur les hauteurs

Nulle trace visible aujourd'hui, mais “le champ Saint-Michel” désigne toujours une parcelle en hauteur au sud du village. Les anciens évoquent une messe donnée face à la vallée le 29 septembre, puis la disparition de la chapelle sous la Révolution, certains matériaux ayant servi à réparer la ferme voisine. Des fragments de tuiles plates et des fondations en petit appareil y ont été retrouvés au début des années 1960 (Bulletin de la Société des antiquaires de l’Ouest, n°27).

Le culte sous les chênes : lieux sacrés et arbres à processions

Mais à Château-Larcher, comme dans de très nombreux villages du Sud-Vienne, le sacré dépassait les murs de la pierre. Si les chapelles ont disparu, beaucoup de processions et de célébrations se tenaient sous les arbres, en rase campagne.

  • Le vieux chêne du Châtelard, dont le tronc noueux servait de point de ralliement à la “bénédiction des fruits” jusqu’à la Première Guerre mondiale.
  • La fontaine Saint-Clair, lieu de culte réputé pour la guérison des yeux, encore fréquenté par les habitants de Château-Larcher et de Magné au XIX siècle, comme l’atteste un rapport municipal de 1884.

L’association “Patrimoines et Mémoires de la Vienne” a recensé plus de dix lieux de ce type dans la région immédiate (patrimoines-vienne.org), anciennement signalés dans les Processions des Rogations ou les Bénédictions de la Saint-Jean.

Les lieux de culte disparus vus par l’archéologie

Parfois, il ne reste rien d’un sanctuaire que des traces ténues : une orientation est-ouest suggestive, quelques pierres peintes ou la présence de tombes sous-jacentes. Les fouilles réalisées lors de la consolidation du château, en 1998, ont révélé, à sa périphérie nord, la base maçonnée d’un petit édifice cultuel daté de la fin du XII siècle.

  • Il s’agissait d’un oratoire probablement lié à la chapelle castrale d’origine, détruite lors du siège de 1356 (Chroniques du Poitou, J. Renaud, 1878).
  • Des fragments de poteries et de verre, associés à des pièces de monnaie florentines du XIV siècle, laissent supposer un lieu de passage, peut-être voué à l’accueil des pèlerins.

En contrebas, près du lavoir de la Ribaudière, les travaux de réfection de 1964 ont mis au jour “deux pierres lithographiques gravées d’une croix pattée”, aujourd’hui conservées en mairie. Leur fonction cultuelle n’est pas prouvée, mais la découverte, commentée par l’archéologue André Reiner (“Chroniques archéologiques du Poitou”, 1966), fait pencher l’hypothèse vers une origine religieuse.

Pourquoi la mémoire de ces lieux s’efface-t-elle ?

Les causes de la disparition de ces sanctuaires sont multiples :

  • Les guerres (Guerre de Cent Ans, Guerres de Religion)
  • Les transformations religieuses (effacement des chapelles rurales après la Révolution, regroupement du culte autour de l’église paroissiale unique)
  • L’exode rural et l’abandon des hameaux au XIX siècle

Au fil du temps, les matériaux étaient repris, les pierres remployées dans des granges ou pour paver les rues. Les anciens qui gardaient la mémoire des processions ou miracles ne sont parfois plus là pour les transmettre. Les anciens lieux de culte deviennent alors invisibles, sauf pour les promeneurs attentifs prêts à lire le paysage et la toponymie.

Où retrouver la trace de ces sanctuaires effacés ?

Quelques conseils pour partir sur la piste des lieux de culte disparus, seul ou en famille :

  1. Explorer le cadastre napoléonien (en ligne sur le site des Archives départementales de la Vienne). Les anciennes parcelles intitulées “Champ de la Chapelle”, “Pré Saint-Michel” ou “Vieux Cimetière” sont souvent révélatrices.
  2. Interroger les anciens du village : ils connaissent parfois mieux que personne la signification de “la fontaine Saint-Clair” ou des “croix oubliées”.
  3. Observer les indices dans les paysages : arbres isolés, alignements de pierres, petits puits ou vestiges sculptés.
  4. Consulter les recueils locaux comme ceux de la Société des Antiquaires de l’Ouest ou de l'association “Vienne & Patrimoine”.

Patrimoine invisible, mais vivant : échos des anciens cultes dans le Château-Larcher d’aujourd’hui

À défaut de pouvoir admirer de majestueux vestiges, la mémoire des lieux de culte disparus irrigue en silence la vie locale. La fête de la Saint-Fiacre n’est plus célébrée, mais le bourg perpétue la tradition florale sur le parvis de l’église ; la vigilance autour des fontaines sacrées resurgit lors des sécheresses d’été, tout comme les associations multiplient les promenades patrimoniales, pour transmettre l’histoire qui ne se voit plus, mais façonne le village.

Dans chaque nom de champ, de croisée ou de fontaine transparaît ainsi une histoire secrète, celle des hommes et des femmes pour qui, à Château-Larcher, chaque pierre et chaque chemin recelaient bien plus qu’un simple passage : une espérance, un rituel, un ancrage.

Pour aller plus loin :

  • Société des Antiquaires de l’Ouest, “Inventaire archéologique de la Vienne, 1975-1985” (tables et notices).
  • Archives départementales de la Vienne, cadastre, cartes anciennes et registres paroissiaux.
  • Christian Roullet, “Monographie communale de Château-Larcher”, manuscrit 1901 (consultable en médiathèque à Vivonne).

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