12/11/2025

L’église Saint-Phébade de Château-Larcher : restaurations, secrets et renaissance

Un témoin roman à travers les siècles

Bâtie au XI siècle, l’église Saint-Phébade est l’une des plus anciennes de la région. Son chœur rectangulaire, ses murs épais, sa nef unique et son remarquable portail orné de chapiteaux témoignent du style roman saintongeais (Source : Base Mérimée, Monuments Historiques). Dès le XV siècle, elle a survécu à la guerre de Cent Ans, puis aux guerres de Religion, non sans dommages.

Certaines pierres du chevet, fixées à la hâte lors de restaurations de fortune, portent encore la trace de réparations médiévales. À la Révolution, l’édifice est pillé, son mobilier dispersé, et il faut attendre le Concordat pour que la paroisse renaisse. Mais les vraies grandes phases de restauration ne commenceront que bien plus tard, alors que la notion même de « patrimoine » commence à se dessiner.

Le XIX siècle : premières restaurations majeures

Lorsque Prosper Mérimée (premier Inspecteur général des Monuments historiques) lance, en 1840, son grand inventaire, l’église de Château-Larcher entre dans l’histoire nationale du patrimoine. Classée Monument historique en 1903, elle bénéficie déjà de restaurations notables au XIX siècle (Source : Base Mérimée - Ministère de la Culture).

  • 1825-1840 : Consolidation des voûtes à la chaux, réfection de la toiture en tuiles plates. La charpente, fragilisée par l’humidité, est remplacée partiellement. Les paroissiens participent eux-mêmes, ramenant matériaux et mains fortes, dans une logique communautaire marquante pour le village.
  • Fin du XIX siècle : Nouveau plafond en planches pour la nef ; restauration sommaire des fresques (certaines sont alors effacées, faute de techniques de préservation adaptées), comblement de fissures sur les contreforts nord.

Anecdote locale : selon l’abbé Moreau (curé en 1887), des outils retrouvés lors d’un dégagement de l’abside ont été réemployés par les maçons du village pour d’autres bâtiments, créant un lien insolite entre l’église et des maisons alentour.

XX siècle : restaurer, défendre, transmettre

L’usure continue du temps et la découverte régulière de nouveaux désordres structurels poussent la commune, parfois en lien avec le service des Monuments historiques, à multiplier les interventions.

Des chiffres qui racontent une épopée

  • 1903 : Classement officiel de l’édifice au titre des Monuments Historiques.
  • 1936-1938 : Les premiers travaux subventionnés par l’État sont conduits : consolidation des murs gouttereaux, étanchéité du clocher-porche.
  • 1952 : Restauration intérieure ; des fragments de fresques polychromes sont repérés mais, faute de moyens, seront enduits puis redécouverts cinquante ans plus tard.
  • 1972-1975 : Reprise totale de la voûte du chœur et du chevet, sous la direction de l’architecte des Bâtiments de France. Budget : 94 500 FRF (Francs de l’époque), dont 70% subventionnés.

Beaucoup d’anciens du village se souviennent de ces années où l’église était littéralement cerclée d’échafaudages, accompagnée d’odeurs de ciment frais et ce chant matinal du marteau sur la pierre. Pendant un temps, les mariages ont même dû se dérouler dans la mairie voisine, faute d’accès sécurisé.

21 siècle : restaurer avec l’esprit du lieu

2005-2010 : Renaissances et révélations

Le début du XXI siècle marque un tournant : les élus prennent conscience que la restauration ne peut plus être seulement structurelle. Sous l’impulsion de l’Architecte des bâtiments de France, la commune lance un programme complet (budget global : près de 210 000 €). Les actions menées sont variées :

  • Reprise de la toiture en tuiles plates de pays, restitution des génoises d’origine
  • Consolidation des maçonneries du chevet et traitement anti-humidité
  • Décapage du portail roman ; nettoyage des chapiteaux sculptés (auparavant couverts d’un badigeon grisâtre)
  • Restitution de deux baies romanes occultées au XVIII siècle
  • Mise en valeur des restes de fresques (notamment la scène de l’Annonciation, mi-effacée mais d’une grande délicatesse d’exécution)

Anecdote méconnue : Un fragment de polychromie médiévale exhumé derrière le retable lors de ces travaux a inspiré une artiste locale, qui a réalisé une série de cartes postales et de foulards – les bénéfices ont servi à financer une partie des retouches du portail.

Les défis et enjeux d’une restauration patrimoniale

Restaurer une église comme Saint-Phébade, ce n’est pas chercher le « neuf » : au contraire, chaque intervention doit respecter l’histoire, les matériaux anciens, et parfois même accepter d’en montrer les faiblesses. Comme pour beaucoup d’églises rurales du Poitou, la difficulté majeure reste financière : la commune (moins de 800 habitants) n’a pas les ressources seules pour assumer les coûts, et le recours à la générosité (nationale ou régionale) reste crucial.

L’autre défi ? Trouver les artisans à la hauteur : tailleurs de pierre formés aux arêtes romanes, couvreurs capables de restituer la courbe de la nef, restaurateurs attentifs à l’équilibre des pigments anciens. Un « chantier-école » a d’ailleurs été organisé en 2010 pour permettre à de jeunes compagnons du tour de France de parfaire leur technique, tout en admirant l’art roman in situ.

  • Seul 1% des églises rurales classées en France ont bénéficié d’une restauration complète sur les cinquante dernières années (Source : Fondation du Patrimoine, 2023).
  • À Château-Larcher, la part d’autofinancement communal a atteint jusqu’à 35% du coût global lors de la dernière tranche de travaux, un record régional pour une commune de cette taille.

Ce que les restaurations ont révélé… et inspiré

Au gré des restaurations, des surprises ont surgi :

  • La découverte en 1952 de reliques sous l’autel, répertoriées comme venant d’un saint évêque compagnon de saint Hilaire, dont la vénération s’est brièvement ravivée à cette occasion.
  • La redécouverte en 2010 d’un appel à la charité gravé par les paroissiens en plein XIX siècle sur une pierre de l’assise sud, comme pour rappeler le sens collectif de chaque geste de conservation.

Les restaurations ont aussi redonné vie à la tradition des « visites guidées des travaux » menées par des bénévoles. Aujourd’hui, chaque été, un circuit permet de lire – sur la pierre, les voûtes, mais aussi dans les archives exposées – les traces de ces interventions et des générations qui ont soigné leur église.

Entre héritage vivant et défis futurs

L’histoire des restaurations de l’église Saint-Phébade n’est ni linéaire, ni achevée. Plutôt une succession d’élans, de coups de main, d’initiatives locales, servies par une passion pour la beauté simple de l’art roman. Ce monument n’est pas seulement le témoin de foi ou de pierre : il raconte l’amour patient d’un lieu, le courage des petites communes face aux chantiers géants, la force fédératrice du patrimoine.

À ceux qui veulent soit s’inspirer du modèle de Château-Larcher, soit savourer simplement le silence apaisant de la nef à midi, il ne reste qu’à observer, dans chaque fissure restaurée, la signature des générations qui ont gardé ouvert ce grand livre de pierre. Les défis, qu’ils soient financiers, techniques ou partagés entre habitants, donnent à l’édifice non seulement sa beauté mais aussi sa raison d’être : un trait d’union vivant, et toujours fragile, entre mémoire et avenir.

Sources principales :

  • Base Mérimée – Ministère de la Culture : fiche sur l’église Saint-Phébade
  • Archives communales de Château-Larcher
  • Fondation du Patrimoine
  • Association des Amis de l’Église Saint-Phébade

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